Une discussion s’est ouverte lors de la dernière Assemblée Générale autour de la valorisation comptable du bénévolat. Cette discussion a ouvert un débat légitime sur les transformations à l’œuvre dans le monde associatif et notamment les politiques actuelles censées encourager le bénévolat et l’engagement… remplissent-elles réellement leurs objectifs ?
Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics invitent les associations à valoriser financièrement le travail des bénévoles dans les associations. On peut se questionner sur l’objectif et le sens d’une telle demande. Jusqu’alors le bénévolat associatif était valorisé selon sa « valeur d’usage » c’est-à-dire au regard des besoins auxquels il contribue à répondre. Chiffrer le bénévolat signifie qu’on lui attribue désormais une valeur marchande.
Si on reprend la définition du Larousse, le bénévolat est en effet défini de la façon suivante : « situation d’une personne qui accomplit un travail gratuitement, sans y être obligée ». Pourquoi alors chercher à valoriser financièrement ce qui est par définition gratuit ? Serait-ce pour calculer ce que coûtent et rapportent les bénévoles dans l’économie, pour envisager la richesse qu’ils produisent par leur travail… ou bien pour envisager les économies réalisables ?
« Chiffrer le bénévolat signifie que l’institution l’envisage désormais comme une forme de travail gratuit… »
Le fait de valoriser financièrement le bénévolat pose question dans des secteurs dit « non marchands » c’est-à-dire dans des secteurs d’activités protégés de la concurrence (la culture, l’enfance-jeunesse…) et où par conséquent il est possible de recourir au bénévolat, ce qui est interdit dans une entreprise privée. En effet, chiffrer le bénévolat signifie que l’institution l’envisage désormais comme une forme de travail gratuit… ce qui pourrait être alors considéré comme une forme de distorsion de concurrence vis-à-vis des entreprises. Comment alors interdire aux entreprises de faire appel au bénévolat ? Ainsi pourquoi ne pas obliger des bénéficiaires du RSA à remplir des missions de bénévolat dans des entreprises comme le proposent certains ? Voilà une belle source de bénéfice que ce travail gratuit ! N’oublions cependant pas la fin de la définition : « …sans y être obligé ».
On peut aussi s’inquiéter de discours, de formations etc. où le langage entrepreneurial s’immisce petit à petit : compétences, recrutement et management de bénévoles… le bénévolat deviendrait donc une main d’œuvre comme une autre à recruter et manager ?
Engagement désintéressé ?
En outre, derrière le bénévolat il y a l’idée d’un don sans contrepartie. Dans une association par exemple le bénévolat ne peut être rémunéré, ou alors il y a présomption de salariat… l’association peut imaginer plusieurs façons d’encourager ou de récompenser les bénévoles, mais cela ne peut constituer un préalable à l’engagement qui consisterait à dire « deviens bénévole et tu pourras obtenir ceci ou cela… ».
Or depuis plusieurs années, on peut se questionner sur l’évolution des politiques publiques en faveur de la vie associative. On pense notamment à la création d’un « Compte Formation Engagement » qui permet aux bénévoles de cumuler des heures et les valoriser sur le plan professionnel. On ne se forme plus pour se mettre au service de l’association… mais pour son propre « parcours ou projet ». De même, alors que passer son BAFA fut pendant longtemps un moyen de s’engager dans l’animation volontaire. Désormais c’est un moyen de cumuler des points pour Parcoursup…
« Ce qui historiquement est au cœur de l’esprit associatif c’est l’engagement désintéressé au service d’un projet collectif et non pour son propre intérêt individuel. »
Résister à la dérive…
Tout ceci contribue à faire rentrer toujours plus les associations dans des logiques économiques et commerciales où l’engagement désintéressé dans un collectif laisse place à une recherche de rentabilité individuelle…
Or ce qui fait précisément la particularité du champ associatif c’est sa vocation à intervenir dans le secteur non marchand, en dehors de tout objectif de rentabilité économique. Ce qui historiquement est au cœur de l’esprit associatif, c’est l’engagement désintéressé au service d’un projet collectif et non pour son propre intérêt individuel.
Les politiques publiques semblent donc aller dans le sens opposé aujourd’hui. Au final on peut s’interroger si au nom de « l’engagement », ces politiques ne sont pas en train d’effacer ce qui fait la particularité du monde associatif : absence de rentabilité économique, principes de don et de gratuité, engagement désintéressé, etc. ? Faut-il que tout devienne marchandise et échange commercial ?
Face à ces évolutions, seule une prise de conscience de la part des responsables associatifs peut faire contre poids. Seule la réaffirmation de projets associatifs autonomes ancrés sur des valeurs fortes peut permettre de résister à ces dérives. Cela passe par un travail pédagogique vis-à-vis des adhérents pour expliquer ce qu’est une association, pour valoriser et transmettre les valeurs et principes collectifs qui la régissent. Cela passe aussi par la nécessité de porter un discours auprès des pouvoirs publics afin de valoriser le rôle social, culturel et démocratique des associations pour ne pas tomber dans l’engrenage de la marchandisation.
Aurélien Boutet
Directeur de la FDFR77
Cet article est issu du dossier du Frontailles n°62.
Aller + loin !
Le travail de Maud Simonet, une sociologue et chercheuse française dont les travaux se concentrent sur les thèmes du travail invisible ou non-reconnu comme le bénévolat ou le volontariat, de l’engagement citoyen et de la notion de « workfare ».
Maud Simonet, Travail gratuit : la nouvelle exploitation ? , Paris, Textuel, 2018, 152 p.
Extrait à lire en ligne sur : cairn.info/revue-espaces-et-societes-2019-1-page-169.htm
ARTE – Et si on travaillait tous et toutes gratuitement ? Dans cet épisode de Les Idées Larges proposé par Arte, Laura explore la notion de “travail gratuit” avec la sociologue Maud Simonet, spécialiste du bénévolat et directrice de recherches au CNRS. Alors, qui exploite le travail gratuit ?
L’épisode est à découvrir en ligne sur : youtu.be/8I6TLhmpooQ
Suite…
Engagez-vous
qu’ils disaient !
« L’engagement » est devenu le maître mot des pouvoirs publics, repris en cœur par nombre d’associations, collectivités, services jeunesse etc. Partout on veut que les jeunes s’engagent. Tout comme hier il fallait « participer », désormais il faut « s’engager » ! Mais d’où vient cette fièvre de « l’engagement » ? Pourquoi les pouvoirs publics veulent tant que nous nous engagions ? L’engagement passe-t-il par des dispositifs ou des politiques publiques ? N’y-a-t-il pas une contradiction dans cette injonction à un acte qui se veut par définition volontaire ?
Un engagement bien encadré
Ainsi depuis plusieurs années on voit fleurir de nombreux dispositifs visant à favoriser l’engagement des jeunes notamment : Service Civique, Service National Universel, Contrat d’engagement jeune, Parcours citoyens, Réserve civique, Contrat d’Engagement Educatif…
Or pendant longtemps l’engagement était l’affaire des syndicats, associations ou ONG. On s’engageait volontairement, pour une cause pour laquelle on avait été conscientisés par des militants : la défense des droits des salariés, l’écologie, la vie de son quartier ou de son village, les inégalités, le féminisme, etc.
Désormais cet engagement est encadré par les pouvoirs publics et n’est plus désintéressé puisque la promotion de l’engagement est souvent liée à une contrepartie. Derrière cette injonction permanente à l’engagement on ne peut s’empêcher d’entendre une petite musique moralisatrice. Est un « bon citoyen » c’est celui ou celle qui s’engage…on décerne alors des prix, on invite chacun et chacune à valoriser son « parcours d’engagement » et ses « compétences citoyennes » ! L’engagement deviendrait-il un moyen pour mieux se vendre sur le marché du travail ? Sans doute, mais à la condition qu’il ne soit ni trop critique ou subversif… est-ce alors des citoyens vraiment « engagés », c’est-à-dire libres et dotés d’un esprit éclairé que nous voulons former ?
L’engagement deviendrait-il un moyen pour mieux se vendre sur le marché du travail ?
L’engagement ne se décrète pas
Désormais les associations sont invitées à mettre en œuvre des politiques publiques de l’engagement en se saisissant des dispositifs proposés, tels de simples opérateurs. Mais l’engagement ne peut se résumer à des dispositifs. Il passe par un travail d’éducation populaire consistant à amener chacune et chacun à prendre conscience du monde dans lequel nous vivons pour y trouver sa place, s’émanciper, imaginer de nouvelles utopies, et nous amener à agir sur le réel… c’est un travail qui s’inscrit dans le temps, qui n’a pas besoin d’être labellisé, qui se cultive au jour le jour à travers différents moyens : discussions, formations, colonies de vacances, organisation de débats, etc.
Lorsque nous animons des formations sur l’engagement, partant des récits de vie des stagiaires, on se rend compte que l’engagement ne se décrète pas. Il n’y a pas de « parcours » tout tracé… pas de projet cadré pour amener à l’engagement. On peut s’engager (et se désengager) à tout âge tout simplement parce que nos parcours de vie sont différents. C’est souvent une histoire de rencontre individuelle (rencontre avec un prof, un animateur, des lectures, un voyage…) et/ou collective (organisation d’un évènement, participation à une grève ou manifestation, etc.) qui nous font voir les choses différemment, amènent à la réflexion, forgent des convictions… et provoquent (parfois) un déclic à l’action.
Le véritable engagement citoyen est cette prise de conscience qui va nous amener à agir et à questionner, y compris notre propre engagement… y compris les politiques de l’engagement.
Cet article est issu du Frontailles n°62.